
C'est à la fenêtre du bureau du ChEd que Dame Faresc aperçut un pigeon qui avait l'air épuisé. Elle ouvrit les battants et un air glacial entra dans la pièce. Le pigeon s'effondra sur le sol. Faresc baissa la tête et reconnut aussitôt la bague qui entourait le message à la patte de l'oiseau mort. Les volatiles arrivant dans cet état, elle en avait déjà vu plusieurs ;hélas ! Ils avaient traversé la « zone », la « limite » du Territoire. Ils s'étaient envolés avant de franchir les portes du « non retour ».
Elle ramassa l'animal et prit le message. C'était ce qu'elle craignait, un message d'adieu écrit à la hâte.
Son cœur se serra et lui fit mal, très mal. Elle ne pouvait y croire.
Faresc mit sa capeline et sauta à bord de sa charrette qui était prête pour Caledonyth. Les caisses de poissons sautaient au risque de glisser tant l'attelage avait été lancé au grand galop sur le chemin de l'hôpital. Tirant sur les rennes de toutes ses forces la charrette stoppa net aux portes de l'HCK ( l'hôpital central de Kiponie.)
Elle courut vers la salle des infirmières. La salle était vide hormis une jolie rose déposée par Kiponette avec un message de soutien.
Là elle comprit. La jeune fille qu'elle avait vu grandir, devenir une belle jeune femme épanouie s'en était allée.
Soudain, les souvenirs affluaient. Faresc avait toute confiance en elle et lui avait remis les clefs de l'hôpital à plusieurs reprises durant ses longues absences. Très vite elle était devenue l'infirmière en chef, dévouée et disponible pour les malades de Kiponie. Toujours un sourire, une parole de réconfort. Faresc l'appelait souvent « mon infirmière préférée » pour la taquiner. Combien de fois elle avait vu sur son visage un sourire dubitatif lorsque Faresc préparait les potions, mais elle devint très rapidement une experte en la matière. Combien de fous rires avaient-elles eus toutes les deux dans les locaux de l'hôpital ?
Puis la jeune fille voulant toujours s'investir un peu plus, Faresc lui avait confié la coopérative de Kipie, encore une fois pas de déception ; un engagement total. Une présence pour Kipie et même Gâalen car elle ne pouvait oublier sa cité. Toutes les coopératives la voyaient chaque mois venir parler des difficultés du marché de Kipie et développaient des échanges inter-cités grâce à elle.
Puis Faresc avait apprécié avec bonheur de la retrouver auprès de Lundi à l'agora de Kipie. Les deux jeunes femmes essayaient tant bien que mal à faire bouger les choses dans la capitale. Pas facile de réveiller une cité. Il lui plaisait de la savoir aux côtés de sa filleule ainsi elle faisait partie de sa famille. Elle comptait !
Sortant de ses pensées, Faresc aperçut une poupée de chiffon abandonnée dans la salle de repos qui servait aux démonstrations pour les soins, à cet instant précis elle se sentait comme elle : des plaies, des bosses qui représentaient tous les amis disparus et le cœur saignant ; neuve meurtrissure : la perte d'Eva.
Faresc alla sur la plage espérant assister à un naufrage qui pourrait être son « retour » et comme toujours après avoir pleuré un moment avait fini par respecter le choix de la jeune fille qui allait lui manquer ainsi qu'à tout le Territoire. Elle souffla en murmurant : « Je ne t'en veux pas, porte-toi bien ! »