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Version (ID) : 5070
Date : Eolia an 185 AUC
Titre : Le Territoire

Contenu :

Eolia an 162

Le Territoire

(Kipie: Capitale de Kiponie)

Chapitre 1
Premier pas dans la cité


Nous retrouvons Fox quelques années après son naufrage, qui eut lieu en Eolia 158, à Kipie devenue son lieu de résidence ; depuis maintenant quatre kipo-ans....

Fox avait fini par se trouver un bel endroit pour construire sa cabane. Il avait mis la porte vers l'Est afin d'avoir le soleil levant sur la devanture. La fenêtre de la pièce principale était tournée vers le Sud et celle de la chambre se tournait vers l'Ouest.

Après avoir quelques temps travaillé dans les champs des agriculteurs installés depuis longtemps, il économisa suffisamment pour s'acheter une parcelle. Il allait avoir son propre champ. Le choix était délicat. Il avait le choix se trouvant à Kipie d'y cultiver le chanvre, le blé et les pommes . Il avait observé durant plusieurs saisons dans quelle direction soufflait le vent, et comment étaient irrigués les sols. Il connaissait l'importance du climat sur les cultures. Il le savait, mais ne comprenait pas d'où venaient ces connaissances. Quoiqu'il en soit il arrêta son choix sur un champ non loin de son habitation afin d'avoir l'œil sur ses cultures.

Chaque soir, sa journée se terminait à la taverne. Il avait pris l'habitude d'y saluer Orianna. Il était d'ailleurs très affecté par le départ de celle-ci. La plupart des colons parlaient de "départ", mais certains parlaient de "suicide", et d'autres même affirmaient qu'elle reviendrait. Ne comprenant pas grand chose à tout cela, il préférait, à tout prendre, la croire en bonne santé dans une contrée lointaine. La joie de voir son sourire s'étant envolée avec elle, il s'y faisait plus rare.

Pour essayer de rompre sa solitude, il décida d'être un peu plus présent dans certains « groupes ». Il rencontra de nombreuses personnes aux caractères et à la nature diverses. Il s'était habitué à parler avec de nombreux animaux et même avec une statue. Cette statue lui parla de l'importance d'être "citoyen". Il voulait l'enrôler dans son parti politique. Mais de politique, Fox n'y entendait rien.

Il avait entendu parler des diverses manifestations à Lazul et à Islandsis contre les autocrates. Il avait lu la presse et avait pu se faire une idée et s'il devait choisir ; ses valeurs seraient démocrates.

Plusieurs articles avaient attirés son attention. Tout d'abord, et cela remontait à quelques temps, les articles de Dame Bibitricotin et dernièrement celui de Dame Faresc qui avait l'air de craindre la disparition du « citoyen ». Il se rappela qu'à son arrivée Kipie était gouvernée par l'autocrate Ice83. Mais il n'y avait pas eu tout le vacarme qu'il y a pour Lazul et Islandsis.

Pendant la grande révolte de Lazul, il avait pris l'habitude de regarder les colons qui partaient manifester pour faire tomber l'autocrate Sangoku. Il espérait y voir passer un visage connu. Il n'avait pas encore osé prendre un cheval pour rendre visite à Cosmo de Pyrrit.

Il se présenta donc devant le château de la cité pour frapper à la porte de l'Agora. Comme personne n'entendit, il déposa sur le panneau prévu à cet effet un message : "moi, Fox, résident de Kipie désire devenir citoyen". Sa demande étant faite, et fier de l'avoir déposée, il jeta un coup d'œil sur le magazine "Alternative". Les lecteurs pouvaient répondre à une question "La citoyenneté: pour vous quel est son rôle ?" .

Il se prit à y réfléchir. Il espérait pouvoir un jour pouvoir annoncer :"je me nomme Fox, citoyen de Kipie!".

Mais pour l'heure il fallait qu'il pense à passer son diplôme de marin car pour pouvoir voyager avec un lougre c'était nécessaire. Il se rendit à l'embarcadère et loua une barque. Il aimait se retrouver au milieu de la mer, sous le soleil. Il avait l'impression que sur l'eau la mémoire lui revenait. Si il s'assoupissait, il voyait des visages et particulièrement le visage d'une jeune femme et d'un bébé. Les avait-il connus ?


*************


Gaïllâa an 163





Chapitre 2
Le départ


Fox avait obtenu la citoyenneté par l'agora de Kipie. Il avait hâte que les élections commencent pour qu'il puisse, pour la toute première fois de sa vie, se rendre au bureau de vote.

Depuis quelques temps, il ne dormait pas très bien. Ses rêves étaient très agités. Les visions, qu'il avait en mer, habitaient désormais ses rêves. Dans l'un d'eux, la jeune femme lui avait parlé, mais n'avait pas utilisé son nom. Elle reprenait sans cesse la même question : « Charles ! Pourquoi nous as-tu abandonnés ? ». Le bébé qu'elle avait dans les bras pleurait. Il n'aurait su dire si l'enfant était une fille ou un garçon.

Il avait donc fini par penser que l'amnésie, dont souffraient tous les Kiponais, n'était pas totale pour lui et que ces images venaient du passé. Elles étaient ancrées dans sa mémoire ; souvenirs d'un autre monde.

Lorsqu'il avait abordé la question avec quelques membres des groupes qu'il côtoyait, tout le monde le mettait en garde : « Attention à toi Fox, le suicide te guette ! ». Il n'y eut qu'une seule personne, enfin pas vraiment une personne, qui prêta une oreille attentive à ses récits : l'hérissonne Laufa. Elle lui conseilla d'aller à l'Hôpital Central de Kiponie afin d'y rencontrer Dame Faresc qui pouvait probablement l'aider.

Lorsqu'il frappa à la porte de l'Hôpital, comme à chaque fois dans un nouveau groupe, il fut très bien accueilli. De jeunes infirmières s'inquiétèrent tout de suite de sa santé.

« Tu as une baisse de forme Fox ?
- Non, non, merci. Je cherche Dame Faresc.
- Dame Faresc ? Elle ne devrait pas tarder, elle passe toujours par ici. Installe-toi confortablement en attendant.
- Merci beaucoup ! Je vais l'attendre. ».

Il ne dut pas attendre longtemps. Dame Faresc arriva, l'air pressé. Elle était assez petite et portait une fleur dans les cheveux. Elle arborait un large sourire.

« Que puis-je pour toi ? Oh ! Je manque à mes devoirs je me nomme Faresc, ajouta-t-elle confuse.
- Je me présente, Fox citoyen de Kipie. Je suis un jeune naufragé et j'ai depuis quelques temps un petit souci.
- Baisse de santé, coup de froid ? Je t'écoute.
- Non, de ce côté là tout va bien. Je me nourris correctement chaque mois et n'hésite pas à manger du lichen afin de préserver ma santé.
- Alors de quoi s'agit-il ?
- Je fais des rêves qui viennent de mon passé je crois.
- De ton passé ? Hum ! Intéressant. Amnésie partielle donc. C'est assez rare. Sauf pour les gens proches du suicide pensa-t-elle sans mot dire.
Avec curiosité Faresc demanda:
"Quel est ce rêve ?
- Je suis en train de nager vers le rivage. Au loin je vois une silhouette aux formes grossières. Au plus je m'approche, et entre chaque respiration, la silhouette se dessine et je peux dire tout d'abord que c'est une femme puis une femme qui porte dans les bras un bébé... Je me retrouve dans une chaumière sans comprendre comment je suis arrivé là. La femme a un regard désespéré... Ensuite je suis sur le chemin et cette femme hurle après moi "Charles ! Pourquoi nous as-tu abandonnés ?" ...Et je cours, je cours sur cette route.... Je me retrouve dans une mer déchaînée accroché à un coffre. Une vague plus forte m'emporte vers le fond et là .... Je me réveille en sursaut et bien souvent en nage.
Un frisson parcourut tout le corps de Faresc.
- Tu veux dire un cauchemar.....Revivrais-tu une partie de ton naufrage ? "

Il y eut un silence. Fox regardait Dame Faresc perdue dans ses pensées. Il toussota. « Le jour de mon arrivée deux autres naufragés se sont échoués. Il lui raconta son histoire. Pensez-vous qu'ils puissent être dans le même cas que moi ?
Faresc sursauta.
- Je ne pense pas. Si tu veux en avoir le cœur net et bien rend-leur visite ! Tu peux aller partout à cheval sauf sur Islandsis, il te faudra avoir le diplôme de marin pour faire la traversée en lougre. De toute façon la pêche est un bon moyen de gagner des kipons !"

Fox était surpris que Dame Faresc n'était pas plus étonnée que cela par son histoire.

Il quitta l'Hôpital. Faresc lui ayant promis de se renseigner sur son état et de consulter les archives.

N'y tenant plus, il prépara son départ. Les élections auraient lieu durant son voyage, mais il avait appris qu'il pouvait voter même s'il se trouvait dans une autre cité. De ce côté-là, il pouvait donc faire son devoir de citoyen sans problème.

Après une discussion à la taverne, il apprit que le voyage à pied était très déconseillé. D'une part, on n'était pas à l'abri du brigandage et d'autre part, il était impossible de travailler durant un mois complet. Il avait donc opté, comme tout bon Kiponais raisonnable, pour le voyage à cheval. Bien que pas très résistant le cheval Kiponais rendait quelques services. On pouvait lui mettre une charge de cinquante sacs au moins. Par contre il mourait arrivé à destination. L'aller était possible mais pas le retour. Il ne fallait donc pas trop s'attacher à ses montures, affectivement parlant.

Sur le marché les chevaux étaient ni attachés, ni entravés, car le trait de caractère principal de ces animaux était la docilité. Pour la plupart ils buvaient l'eau de la mangeoire et regardaient les passants d'un regard doux. Parfois l'un d'eux relevait la tête lorsqu'un Kiponais intéressé se renseignait sur leur prix.

Pour Fox, il fut très difficile de faire un choix, car tout le troupeau avait levé la tête vers lui et tentait de le séduire en quelque sorte. En y regardant bien il y avait une exception. Au fond de l'enclos un cheval plus sombre de robe et légèrement plus petit restait à l'écart. Son regard semblait plus vif. Fox se dirigea vers lui et aussitôt, l'animal leva et baissa la tête comme pour dire « oui ». Fox paya le prix demandé et emmena donc sa monture vers sa cabane.

Le petit cheval à l'air mutin, marchait d'un bon pas vers la demeure de son nouveau maître. Fox fut très surpris de voir celui-ci se diriger, sans signe de sa part, vers la porte de la grange. Il avait compris que cette demeure, parmi toutes les demeures de la rue, était la sienne. Fox haussa les épaules en pensant : « Encore un mystère de Kiponie ! ».

Fox prépara les vivres qu'il allait emporter, un outil, emmena son filet qui pouvait encore servir deux fois, quelques tuniques et essaya de trouver le sommeil. Il lista ce qu'il avait mis en place. Les sacs de fumier sur son champ, la pompe à bras ; tout était prêt pour lancer un emploi via l'ATPE au moment des semailles. Il espérait rentrer pour faire la récolte.

Le sommeil ne venant pas, il tourna dans sa demeure en attendant l'aube pour se mettre en route. Il observa le petit cheval à la lueur de la lune et ne put s'empêcher d'imaginer la mort de celui-ci à son arrivée à Pyrrit. On lui avait souvent raconté : «C'est simple quand tu arrives à destination, il faut vite descendre de ton cheval, sinon il s'affaisse et hop tu tombes ! En général, cela se produit à la douane ».

Il était un peu anxieux . Enfin, ce fut l'heure du départ. Il ferma soigneusement sa cabane et monta sur le petit cheval qui avait l'air heureux de se mettre en chemin. Le voyage alla très vite et il se présenta à la douane.

Il avait pris soin de mettre pied à terre au plus vite et regarda le petit cheval qui le regarda en retour, toujours avec son petit air mutin.

Le douanier lui cria : « Laisse-le ! Parfois ce n'est pas instantané ! Tu as quoi dans ta sacoche ? ». A regret Fox entra dans la cabane du douanier. Les formalités terminées, il ressortit. Le petit cheval était toujours là, à l'attendre. N'y comprenant rien, il le prit par la bride et marcha à ses côtés pour entrer dans la cité. Il le laissa devant la taverne où il entra.

« Bonjour ! Quelqu'un connaît-il Cosmo ?
- Tu es un de ses amis ? Demanda un colon. Si c'est le cas passe ton chemin !
- Pas exactement dit Fox. Je le cherche, car je dois lui demander quelque chose.
Tous les colons présents dans la taverne se mirent à rire.
- Alors mon gars ... Bonne chance ! On ne « demande » rien à cette fripouille. »

Fox n'ajouta rien, car il avait compris que Cosmo n'était pas apprécié. Il sortit et vit le petit cheval se diriger vers lui.
« Tu es encore là ! lui dit-il, en lui caressant le museau.
A sa grande stupeur le petit cheval lui répondit : « Je t'attendais ! »


*************


Brumea 163




Chapitre 3
Kartajan



Fox ne savait pas trop comment réagir face à son compagnon de route « parlant ». Il évita de passer devant la douane où le douanier pouvait reconnaître l'animal qui devait être théoriquement mort.

La première réaction de Fox fut de cacher le petit cheval et de lui trouver un nom.

Il s'approcha du petit cheval et tout en le caressant demanda: « Comment vais-je te nommer ?
Le petit cheval se redressa fièrement et dit : j'ai un nom ! Je me nomme Kartajan !
- Mais qui t'a donné un nom ? répondit Fox surpris.
- Ma mère pardi ! C'était une superbe licorne, elle faisait partie des premiers troupeaux qui ont peuplés la Kiponie. Elle était de race noble !
- Mais tu n'as pas de corne !
Kartajan prit un air plus humble. Je sais que je n'ai pas de corne, mon père lui n'était pas de sang noble, c'était un cheval sauvage du Nord.
- Que faisais-tu dans le troupeau du marché alors ?
- C'est une très longue histoire si tu as le temps je te la raconte.
- Cela n'a pas trop d'importance pour l'heure, tu me raconteras cela plus tard. Je dois trouver vingt planches au plus vite.
Kartajan tapa du sabot, d'un air mécontent.
- D'accord on verra plus tard ».

Fox en se dirigeant vers le marché essaya de prendre en compte toutes ces informations. Il fallait cacher Kartajan au plus vite et surtout construire une cabane avant la nuit. Il y avait un aspect financier à cette construction car en Kiponie chaque cabane construite dans une autre cité que celle de sa résidence vous donne droit à la prime de colonisation de 5 k$ par cabane et par mois. Cela ne serait pas négligeable surtout que le marché de Pyrrit était, certes bien achalandé, mais surtout très cher.

Tout en se dirigeant vers les étals des menuisiers, il demandait aux passants où on pouvait trouver Cosmo. Très souvent les têtes se détournaient sans répondre, à l'exception d'un jeune colon qui dit en tremblant : «Tu le trouveras au port il y passe le plus clair de son temps ! ».

Les planches harnachées sur les flancs de Kartajan, il chercha un endroit pour y faire sa cabane. C'est en apercevant les prairies qu'il pensa la faire à proximité, ainsi il pourrait laisser Kartajan dans l'une d'elle, s'il faisait connaissance avec l'un des propriétaires. Aux abords des enclos, Kartajan demanda : « Tu veux que je leur demande à qui ils appartiennent ?
-Tu lis dans mes pensées ?
- Non pas vraiment, mais si on se dirige vers les prairies c'est sans doute pour moi et il se trouve que je peux parler avec les juments mes cousines. Leur langage est un peu plus rudimentaire, mais on se comprend.

Fox haussa les épaules, résigné et lui dit, alors va, pendant que je construis ma cabane ici, près de ces buissons d'épineux qui couperont le couloir du vent.

Kartajan fila vers les prairies. Il avait une jolie foulée bien cadencée et il devait être redoutable au grand galop. Il commença par regarder les juments. Il s'adressa à l'une du premier enclos, mais afin d'éviter ce propriétaire car elles avaient l'air bien malingre.

"ho ! Là ! Belle jument !"
La petite jument leva un regard malheureux vers le fringuant cheval qui se présentait à elle. A son allure elle comprit qu'il était de race noble. « Puis-je t'aider ?
- Qui est donc ton propriétaire
- C'est le sieur Cosmo et je te conseille de passer ton chemin, car si tu restes ici, tu risques de perdre ta fière allure.
Flatté, le petit cheval hennit. "Dans l'enclos voisin les juments ont l'air plus grasses."
La petite jument donna un coup de sabot sur le sol de sa patte avant un peu agacée. "Je le sais bien et je n'ai pas eu la chance de m'y trouver. La prairie est à Dame Faresc. D'ailleurs elle a mis la mangeoire au plus près de notre prairie afin que l'on puisse ramasser quelques miettes d'orge et de seigle. Demande à la jument au fond près de l'arbre, celle qui a une crinière blanche. Elle te dira où tu peux la trouver .
- Merci. Si je trouve quelques pommes je t'en apporterais ! ».

Il partit au petit trot vers la jument qu'elle lui avait indiquée. Au plus il approchait, au plus son cœur se mit à battre, elle était de toute beauté. Sa robe était d'un jaune proche du doré et ses crins presque blancs. Elle leva la tête vers lui, lorsqu'il fut à quelques foulées. Il s'arrêta l'espace d'un quart de seconde et reprit son approche au pas.

« Bonjour, dit-il ému
- Bonjour, répondit la jument le regard brillant.
- Peux-tu me dire le nom de la propriétaire de cette prairie ?
- Dame Faresc, si tu cherches où dormir elle t'autorisera sans doute à rester quelques temps à l'écurie. Seulement il faudra lui demander le mois prochain car elle est déjà passée.
- Merci honorable jument.
- De rien »

Le petit cheval noir repartit en musardant vers la cabane qui devait être finie. Il ne cessait de penser à la jeune jument. Tout lui paraissait plus beau, les arbres, le soleil, le ciel et même la petite cabane de Fox !

Fox lui demanda : « Alors !? »
Kartajan lui répondit . « il faut attendre demain et demander à une certaine Faresc !"
Fox sourit, il lui restait à sortir un pigeon de la cage qu'il avait emportée et à rédiger un message.

La réponse fut rapide et Kartajan pouvait loger dans la prairie.

Ce problème étant réglé et sa cabane construite, il était temps pour lui de se restaurer et il se dirigea vers l'auberge. En passant il alla installer Kartajan dans son box. Le cheval semblait très heureux de se retrouver à l'écurie.

Après un bon repas, il prit la direction du port.

A son arrivée il comprit. Tout ce qui avait été dit sur Cosmo n'était que vérité. Quand il l'aperçut le gros homme s'adressait aux marins des quais:
"Vous, n'êtes que des incapables, je vous avais dit l'orge dans ce lougre et le chanvre dans celui-là. Plus bêtes que des ratons baveurs! Vous n'êtes pas plus malins que ces sales bestioles!
Mais qui m'a envoyé ces imbéciles, j'avais demandé des marins compétents...." Il vociférait des insultes, des menaces, donnait des coups de pieds aux trainards. Jamais Fox n'avait vu un homme se comporter de la sorte en Kiponie. Il avait bien envie de passer son chemin pourtant il fallait qu'il lui parle.


*************


Pluvea an 166



Chapitre 4
Cosmo


Sur les quais du port de Pyrrit, Fox s'avança vers Cosmo quand il vit arriver deux individus encapuchonnés. Ils se dirigèrent vers l'homme costaud et trapu d'un pas déterminé. Fox s'arrêta et resta en retrait. Il entendit des mots qui n'avaient que peu de sens pour lui.
"Ta commission sera de 10 % ......bah! à des petits jeunes qui ont cru faire une affaire!"
Les compères disparurent. Fox s'approcha.
"Que fais-tu là ? Tu crois que tu vas avoir ton pain en regardant les autres travailler, lui cria Cosmo. Prends donc ces trois sacs et descends-les dans la cale. T'as perdu ta langue. Ma parole, cria-t-il aux alentours, il y a un muet maintenant!" Il se mit à rire bruyamment. Sa poitrine faisait de gros soubresauts.
Ce rire. Fox était pétrifié. Il avait déjà entendu ce rire. Soudain la sueur perla sur son front et il se vit accroché à la barre du perroquet du grand mât de « l'Aigrette ». Quand le rire stoppa sa vision s'envola.
Il reprit ses esprits. "Je ne suis pas un marin des quais. Je me nomme Fox et je suis Kipien.
- La belle affaire, et tu me veux quoi le Kipien. Tu as quelque chose à vendre ?
- Non, je pense que nous avons fait naufrage le même jour et.....
- Qu'est-ce que tu me racontes. J'ai toujours vécu ici mon gars et les histoires de naufragés, ne sont que des balivernes pour les buveurs de cervoise.
- Vous n'avez jamais de...., Fox hésitait, rêves de votre ancienne vie ?
- Puisque je te dis qu'il n'y a pas d'ancienne vie, t'es bouché ou quoi ? Bon j'ai à faire !" Il fit un geste de la main comme pour chasser un moustique.

Fox n'insista pas. Il retourna vers sa petite cabane. Il avait la ferme intention de passer son diplôme de marin pour acquérir un lougre seule manière d'aller à Islandsis. Il n'avait plus qu'un seul espoir rencontrer Phil, le troisième naufragé. Il était inutile de revoir Cosmo, ce personnage n'était que roulure et magouille pour spéculer sur le dos des jeunes naufragés. A son retour il en parlerait aux autorités.
***


Pendant ce temps, Cosmo appela l'un de ses sbires. "Suis-le et viens me dire tout ce qu'il fait et où il va. Je veux tout savoir. Tu seras récompensé, si tu fais bien ton travail par une belle bourse de kipons."
Cosmo était inquiet, ce Fox pouvait l'empêcher de faire des affaires. Ce gringalet n'allait pas détruire ses petites transactions juteuses. Il n'était pas question qu'il retourne à son ancienne vie, même s'il n'en avait aucun souvenir.
***


En chemin, Fox repensait à la vision qu'il avait eu. Un bateau :"l' Aigrette". Que faisait-il à bord ? Il avait fait naufrage, mais où allait-il ?
Ses réflexions s'arrêtèrent lorsqu'il trouva Kartajan devant la porte. Il avait un air bizarre, si l'on peut dire cela d'un cheval.

Le petit cheval noir piaffait d'impatience. Quand il aperçut Fox, il trottina jusqu'à lui.
« J'en ai retrouvé une, lança l'animal
- Tu as trouvé une... quoi ?
- J'ai retrouvé une jument qui peut être sauvée. C'est incroyable ! »

Fox interloqué et encore troublé par sa vision, ne comprenait rien au bavardage de Kartajan. « De quoi me parles-tu ? Sauvée de quoi ?
-Tu ne peux par comprendre, affirma ce denier de plus en plus nerveux, il faut que je te raconte. Assieds-toi ! »

Fox comprit que le petit cheval ne le laisserait tranquille qu'après l'avoir écouté. Il prit donc une chaise et s'installa devant la porte, sans oublier de se munir d'une bonne cervoise.

« Il faut que je te parle du commencement.
Sur les continents vivaient il y a bien longtemps des licornes par milliers. Elles vivaient en harmonie avec les hommes, jusqu'au jour où ces derniers inventèrent la chasse. Ils chassèrent d'abord les petits animaux, puis les marcassins. La chasse devint, au fil des kipo-années, un rite, parfois même un rituel. Et les hommes voulurent montrer aux autres hommes des autres clans leur plus grande habileté à la chasse. C'est ainsi qu'ils en vinrent à chasser les licornes. Ils en chassèrent tant et tant qu'un jour il n'en resta qu'une seule. Les hommes la convoitèrent et la traquèrent pendant plusieurs kipo-années.

Un jour, ils l'acculèrent au bord d'une falaise. La licorne, apeurée, épuisée par cette longue traque que les hommes n'avaient eu de cesse de mener, s'approcha tellement du bord qu'elle tomba. L'océan venait fracasser ses vagues au pied même de cette immense muraille de calcaire. Et la licorne sombra dans ces eaux glacées. Mais la dernière Licorne n'avait pas péri noyée.
(extrait de la licorne de Kiponie – Johanna9402).


- Je connais cette histoire, l'interrompit Fox
- Ah ! Dit Kartajan avec surprise.
- C'est dans mon livre à la licorne.
- Bon ! Bon ! Qu'importe tu ne connais pas l'histoire de ma grand-mère la sœur cadette de la licorne qui a survécu dans la noyade.
- On ne parle que d'une seule licorne, que me racontes-tu ?
- Ah ! Personne ne le sait, mais elles étaient deux ! »

Fier de son petit effet, il regarda Fox qui commençait à s'intéresser à son récit.
« Ma grand mère s'appelait Rêveuse . Elle portait bien son nom, car elle musardait à longueur de temps. Un jour, elle découvrit que vers les hauteurs de Gypsis, en direction de la vallée du Cinabr, vivait un troupeau de chevaux. Jamais une licorne ne parlait à un cheval ; sauf ma grand-mère. Leur langage est moins élaboré que le nôtre et ils ne peuvent pas parler aux humains, en général.
Il observa l'effet de sa dernière remarque.
- ça je l'ai déjà constaté, dit Fox d'un air moqueur
- Bref ! Le jour de la grande chasse, elle était à flâner avec mon grand père. Les chevaux ne se donnent pas de nom, alors elle le nomma Fougueux . Quand, elle entendit les cris des hommes fous de rage qui s'invectivaient, qui hurlaient à la mort en traquant ce qu'ils pensaient être la dernière licorne. Elle fonça en direction des cris, restant prudemment à l'abri des regards. Mais, elle le savait, sa sœur courait un grand danger. Quand elle arriva, impuissante, elle la vit tomber dans l'océan sans pouvoir intervenir.

Ce retrouvant seule elle rejoignit Fougueux. Le clan de Fougueux ne l'accepta pas et ils furent bannis du troupeau. Quelques temps plus tard, naquit mon père puis ses trois sœurs. Un cheval peu ordinaire puisqu'il pouvait parler le langage des hommes. Les trois juments n'avaient pas ce pouvoir. Aucune licorne, que des chevaux.
- C'est une bien belle histoire, mais pourquoi tu n'es pas mort après notre voyage ?
- J'y viens. Certains d'entre nous ont du sang de licorne et d'autres pas. Nous le découvrîmes à la venue des premiers naufragés en l'an 0. Les juments élevées par les colons donnaient naissance à des chevaux qui mourraient dès la fin du premier voyage. Tout cela était un mystère pour nous, mais aussi une condamnation irrémédiable pour mon peuple.
Par je ne sais quel miracle certains d'entre nous survivaient ; et tous venaient de la lignée de la licorne. On s'aperçut qu'ils pouvaient donner la longévité aux chevaux ordinaires en formant un couple. Mon père que l'on nomma Sombre rencontra une jument qu'il nomma Palomina . Pour la sauver mon grand-père dut s'adresser au patriarche du troupeau et échanger la jeune Palomina contre l'une de ses filles. Une fois réunis Sombre et Palomina donnèrent naissance à Kartajan ! Ma mère gagna aussitôt sa longévité.
- Et ? Dit Fox amusé, car il commençait à comprendre.
- Dans l'enclos de Dame Faresc il y a une jeune jument que je peux sauver, j'en suis certain. Il ne faut pas qu'elle soit vendue."

Fox sourit amusé par le regard malicieux de son cheval. Il prit donc sa plume et envoya un pigeon à Dame Faresc. Il n'avait pas fini d'être surpris par Kartajan, il en était convaincu.

La nuit était tombée. Kartajan avait regagné son enclos et sa nouvelle amie. Fox quant à lui, eut du mal à s'endormir. Il revoyait l'Aigrette quittant un port , mais ne savait lequel. Il fit son cauchemar de la femme et l'enfant. Il se réveilla plusieurs fois en nage et avec des difficultés à respirer tant l'angoisse le tenaillait. Avait-il abandonné sa famille ?



*************





Chapitre 5
Bientôt la traversée !


Le voyage fut bon. Des vents violents l'avaient poussée jusqu'à Pyrrit en un temps record. Dame Faresc demanda aux marins de décharger les sacs d'orge qu'elle avait apportés pour ses bêtes.

Elle avait donné rendez-vous à Fox près des écuries. Il l'attendait.

« Bonjour Dame Faresc !
- Bonjour Fox, comment vas-tu ?
- Je dors toujours mal, mais ça va.
- J'ai quelque chose à te proposer, mais avant cela voyons pour Kartajan c'est bien son nom ?
- Oui, répondit Fox un peu gêné, il faut que je te raconte par le début ».

Il se mit en devoir de raconter l'histoire de Kartajan. Le fait qu'il n'était pas mort à son arrivée à Pyrrit, qu'il pouvait lui parler et qu'il pouvait sauver une jument de l'élevage de Faresc d'une mort certaine.

«C'est amusant, sourit Faresc, s'il s'agit de la jeune pouliche là-bas, je ne suis pas surprise. Les jours de marché, elle se tenait à l'écart et personne ne voulait l'acheter. Il y a longtemps qu'elle se trouve dans l'enclos. Allons voir ton cheval, j'ai hâte de l'entendre parler. »

Ils se dirigèrent vers le couple de chevaux.

Le fringuant Kartajan interpella tout de suite Faresc.
« Alors c'est oui ?
Un peu surprise elle acquiesça.
- Je n'y vois aucun inconvénient. Ton histoire est surprenante.
- Je sais. Merci Dame Faresc. Nous allons partir vers le Nord, mais pouvons-nous rester un peu pour prendre des forces pour le voyage ?
- Si la pitance te convient pourquoi pas !
- Je suis heureux Dame Faresc, vous êtes une grande Dame.
- C'est bien la première fois que l'on dit que je suis grande !» Et elle éclata de rire.

Kartajan partit avec une cadence sautillante vers Palomina.

Faresc et Fox se dirigèrent vers la cabane de ce dernier. Fox en profita pour lui expliquer un peu sa rencontre avec Cosmo. Il lui confia les soupçons qu'il fondait quant à son commerce. Il avait fini son diplôme de marin, il était prêt pour le départ. Par contre il devait lui parler d'un sentiment qu'il avait depuis quelques temps.

Il avait réussi à rendre agréable sa demeure rudimentaire.
« Je n'ai pas de fauteuil confortable ici, je te prie de m'excuser.
- Ma cabane n'est pas mieux Fox, ne t'inquiète pas une chaise me va très bien. »
Il lui servit une cervoise.

Il y eut un instant de calme et de silence. Ils dégustaient leur breuvage avec plaisir. Quand soudain ils entendirent un craquement sinistre. Fox fonça vers la porte, attrapa un gros gourdin et sortit prêt à taper s'il le fallait. L'homme l'aperçut et en un éclair comprit qu'il lui fallait partir en courant. Ce qu'il fit.

Fox lui cria : « Reviens ! Je veux te parler ! Tu travailles pour qui ? »

Lorsqu'il entra de nouveau dans la pièce, il retrouva Faresc debout près de la fenêtre. Elle avait vu toute la scène et paraissait très surprise.

Fox s'expliqua : « Depuis quelques temps chaque fois que je sors de chez moi, j'ai la sensation d'être suivi. C'est pourquoi j'ai mis du bois sec près de la fenêtre et de la porte, ainsi si on marche dessus le bruit m'avertit de la présence d'un individu. Il n'est jamais venu aussi près, sans doute par ce que vous êtes là ».

***


L'homme courut aussi vite et aussi longtemps qu'il le pouvait. Il arriva au port essoufflé et tremblant de peur. Sa peur se décupla lorsqu'il vit arriver Cosmo.

« Qu'as-tu à me raconter morveux ? Dit le gros homme à l'air méchant.
Ne pouvant parler sans hacher ses mots suite à l'effort qu'il venait de fournir, il balbutia des mots incompréhensibles. Cosmo s'agaça et le bouscula par une frappe à l'épaule. « Tu vas parler correctement triple buse ?! ».

L'homme recroquevillé sur lui-même, le regard au sol, se reprit et fit son rapport.

« A la taverne j'ai appris qu'il passait son diplôme de marin pour aller en face à Islandsis. Il cherche un certain Phil. Il serait arrivé en même temps suite au naufrage du bateau « l'Aigrette ».
- Mais encore ? cria Cosmo
- Il a demandé qui était juge dans le secteur et a fait venir Dame Faresc. D'ailleurs il est avec elle en ce moment. »

Le jeune colon s'arrêta de parler et se tassa encore un peu plus, attendant visiblement qu'on le frappe.

Cosmo pensa, le menton dans la main « Il va me causer des ennuis celui-là j'en suis certain. Un juge ? Pour mon trafic sans doute. Dame Faresc que vient-elle faire ici ? Il n'a pas l'air malade ? Pour lui prêter un lougre sans doute »

Il regarda le jeune homme. « Tu sais naviguer avec un lougre ?
- Non Sieur Cosmo, je ne sais pas nager, ni pêcher. Il enroula le bras autour de sa tête comme pour se protéger
- Je vais devoir faire le déplacement. Il faut l'empêcher de voir ce Phil. Tu vas te renseigner sur le lougre qui lui sera prêté par Dame Faresc et je veux qu'il n'atteigne pas Islandsis. Tu m'as compris ? Disparais de ma vue espèce de larve. »
Le jeune homme tendit la main timidement. Cosmo ignora son geste et s'éloigna en éclatant de rire.

***


Pendant ce temps Fox et Faresc se remettaient de cette intrusion.

« Je vais essayer d'en parler à un juge pour Cosmo, déclara Faresc. Maintenant il faut que je te parle de tes cauchemars. En fais-tu encore ?
- Oui ! Ils sont toujours là ! Je vois un bateau maintenant.
- Cela paraît normal nous venons tous de la mer. Visiblement quand tu es entré dans le brouillard qui entoure, au large, la Kiponie, tes souvenirs ne se sont pas tous effacés comme je te le disais. J'ai peut-être une solution pour toi.
- Laquelle ?
- Voilà, il y a bien longtemps maintenant, j'ai eu la visite d'une magicienne et d'un magicien ; Altariel et Tarkûn. C'est une longue histoire, mais sache que j'étais très attachée à Tarkûn. Lorsqu'il est parti, je l'ai beaucoup pleuré et un jour il est revenu avec cette fiole. Faresc, sortit une fiole aux couleurs teintées de mauve. Un élixir de « l'oubli » dit-elle.
- Un élixir d'oubli, répéta Fox comme fasciné.
- Voici ce qu'il m'a dit. « Si c'est trop dur pour toi d'avoir en toi le souvenir des jours passés ensemble, bois cet élixir, il te fera oublier tout ce qui te peine et tout ce qui te fend le cœur. Tu ne te souviendras que de ce qui t'apaise et tu continueras ton chemin l'âme en paix ». Je ne l'ai jamais prise car je préfère chérir mes souvenirs. Dame Faresc sourit. Mais toi cela pourra t'apaiser, alors tiens, prends.
- Merci, mais je ne sais que dire. Quand devrais-je la prendre ? Interrogea-t-il d'un air solennel
- Quand tu auras fait le choix de ne plus te torturer. Je pense que cela sera une fois que tu auras rencontré Phil. »

Ils se mirent en chemin pour le port ; Faresc devait continuer vers Kipie.
Arrivée au quai elle désigna « le Colibri »

« Voici ton embarcation !
Fox lui tendit la somme de la caution de la location.
- Tu auras une facture à ton retour lorsque nous aurons passé en revu l'état d'usure du bateau. Bon vent mon jeune ami ! »

Elle embarqua sur « le Gypsote » et disparut.

Fox décida de reporter son départ au lendemain. Il allait embarquer les filets à poissons que Faresc lui avait confiés pour le marché d'Islandsis et les matières premières qu'il avait ramassées : pépites de fer et blocs de cailloux. Au bout d'un moment, il se sentit de nouveau observé, mais lorsqu'il se retourna, il ne vit personne.

Après son travail dans une charpenterie de la cité, il alla voir Kartajan pour l'informer de son départ.

Kartajan vint à sa rencontre. Volubile comme à son habitude il lança : « Je suis le plus heureux des chevaux mon ami ! Palomina est heureuse aussi maintenant il faut que nous fassions route vers « les troupeaux libres » du Nord.
- Je pars demain à l'aube quant à moi.
- Ah ! Fit le petit cheval soudain d'humeur assombrie.
- Tu seras encore là à mon retour ?
- Cela dépend de la durée de ton voyage. Nous voulons partir avant la période de gel.
- C'est que je ne peux dire combien de temps je vais rester sur Islandsis. Dit Fox un peu gêné.
- Nos routes se séparent donc. Merci pour tout Fox ! Je reviendrai te voir du côté de Kipie peut-être ?
- J'espère que l'on se reverra, mais je ne peux rien te promettre.
- Alors adieu ! Essaya de dire Kartajan avec désinvolture.
- Portez-vous bien ! » dit Fox d'un air triste.

Ils se séparèrent. Fox caressa une dernière fois la tête noire de Kartajan. Finalement, il s'était attaché à lui. Il espérait vraiment qu'ils se retrouveraient à nouveau.

Après une nuit de sommeil, calme pour une fois, il se dirigea vers le port. Il touchait au but.



*************


Eolia an 169





Chapitre 6
L'oubli

Le jeune colon ne savait vraiment pas comment s'y prendre pour saboter le lougre. Il avait pris une scie à tout hasard, mais à quoi elle lui servirait, il n'en avait aucune idée. Il essaya d'éviter les lueurs de la lune et se glissa à bord du « Colibri » . Cosmo avait été clair ; « il ne doit pas arriver à Islandsis ! ». Il était sur le pont et regardait gauchement autour de lui. Il se dit que si le mât cassait, cela devrait faire de gros dégâts. Il commença donc à le scier le grand mât, sans trop savoir si cela serait efficace. Son labeur dura toute la nuit.

Lorsqu'il descendit du lougre, il aperçut au loin l'embarcation de Cosmo prendre la mer. Il respira plus librement, cette crapule n'était plus en ville.

***


Cosmo s'était levé tôt. Il voulait absolument empêcher Phil de rencontrer ce Fox. Il pourrait le bâillonner et le mettre au fond de la cale, personne ne penserait à vérifier. Le transport de passager n'existe pas en Kiponie. Il le transporterait dans un sac de toile ainsi, tout le monde penserait qu'il s'agissait d'un sac de céréales. Il se sourit. Il allait encore jouer un mauvais tour et il adorait cela.

La mer était calme et il était vraiment agréable de naviguer. Soudain, le ciel s'assombrit. Des nuages se formèrent. Le ciel s'ouvrit et une lumière en jaillit projetant un rayon sur le bateau de Cosmo. Le temps s'arrêta, les flots également. Tout était figé. Pas de vent, pas de vague, pas un seul mouvement. Cosmo entendait le rythme de son cœur s'accélérer. Une voix grave retentit :

« Par la loi du grand IS, je te bannis ! Toi, Cosmo pour une durée indéterminée.Tu resteras ici, en ce lieu, et ne pourras en bouger ! J'ai dit ! Qu'il en soit ainsi ! ».

Le ciel se referma. Tout resta figé. Toujours pas de vent, ni de vague, ni de mouvement. Cosmo marchait de long en large et comprit qu'il ne changerait pas de place avant un bon moment. Il s'affaissa sur le pont et prit sa tête entre les mains. Ses mains agrippèrent ses cheveux. Fou de rage il regarda le ciel et cria : « J'en ai que faire de tes lois !! ». Mais il sut que pour lui tout était fini. Son sort en était jeté. Il finirait sans doute par mourir de faim ou de soif, à moins qu'il ne trouve un moyen de s'enfuir.

***


Notre jeune colon, apprenti saboteur, sortait de la taverne lorsqu'il apprit la nouvelle. Le tavernier, non content, hurla dans la salle presque de joie, tant Cosmo était connu pour ses méfaits : « Cosmo, vient d'être banni du Territoire !!! Tournée générale !!! ».

Aussitôt, le jeune colon pensa au Colibri. Il courut jusqu'au quai afin d'empêcher Fox de monter à bord, mais lorsqu'il arriva, il était trop tard ; Fox était parti. Il pensa prévenir Dame Faresc, mais comment allait-il lui expliquer qu'il travaillait pour Cosmo. Il ne fit rien que de se lamenter auprès des marins qui ne l'écoutaient même pas. Il retourna donc vers la taverne et fêta l'événement avec les autres, en essayant d'oublier qu'il avait peut-être condamné Fox à un deuxième naufrage. Ce qui le rassurait c'est que la mer le rejetterait sans doute sur l'une des plages de Kiponie. Il en était toujours ainsi.

***

Fox était heureux de prendre le large. L'océan était calme et pour son premier jour de navigation, il valait mieux qu'il en soit ainsi. Faresc lui avait confié, aux détours d'une conversation, que voyager en mer l'apaisait et il comprit qu'elle n'avait pas tort. Tout se passa à merveille et il accosta au port d'Islandsis de belle manière. Il n'en était pas peu fier.

Pieds à terre, il s'empressa de se diriger vers le marché et d'installer ses marchandises sur les étals prévus pour les voyageurs de commerce. Il parla à ses voisins et demanda où était Phil. On lui apprit que Phil était le jeune homme qui vendait son lichen près du tas de planches dans le fond du marché. Fox l'observa. Il ne le reconnaissait pas, mais une chose était certaine ; il lui semblait sympathique.

Il se présenta devant l'étal du jeune homme.

« Bonjour ! Dit-il,
-Bonjour Monsieur, vous êtes du continent ?
-Oui, je suis Kipien. Dis-moi le lichen se vend bien ? Cela n'a pas l'air bien appétissant.
-Le lichen c'est la vitamine de Kiponie ! affirma Phil. Il sert aux aubergites, aux apothicaires pour les potions contre les coups de froid entre autre et consommé à la maison il vous donne de la santé supplémentaire. Il faut en faire des cures, rien de tel pour passer l'hiver.
Fox sourit, tu peux m'en donner deux sacs si tu veux bien, je vais essayer.
-Tu ne le regretteras pas tu vas voir, tu vas de sentir en pleine forme !. »

Les deux hommes continuèrent à converser de choses et d'autres. Ils avaient connu l'autocratie tous les deux et ils en discutèrent. Il parlèrent surtout du retour à la démocratie. Fox ne dit rien des motivations de sa venue sur l'île.

Il construisit une cabane, non loin de celle de Phil et ils devinrent très vite des amis. Phil avait investi dans la terre et avait deux champs. Naturellement à la période des semailles il employa Fox. Le travail aux champs les rapprochèrent encore plus. Ils évoquaient leurs craintes de l'avenir, leurs projets, et aussi les femmes.

Fox continuait à avoir des cauchemars, mais il s'était résigné à se réveiller plusieurs fois par nuit.
Depuis un an maintenant, il vivait sur l'île et il commençait à avoir le mal du pays car depuis son départ de Kipie plus de deux ans s'étaient écoulés.

Un soir à la veillée, il posa des questions à Phil. « Tu te souviens de ton arrivée ici et de l'endroit où tu vivais avant de faire naufrage ?
-Avant le naufrage non ! Le plus lointain souvenir est mon réveil sur la plage avec mes vêtements déchirés. J'avais une bourse en cuir bien remplie à mes côtés. J'ai aperçu le marché, acheté une nouvelle tunique et un gars m'a proposé de travailler dans sa menuiserie. Le lendemain il me faisait un prix sur les planches fabriquées et voilà elles forment toujours ma cabane ». Il tapa de la main sur le mur.

Constatant qu'il était inutile de l'ennuyer avec son histoire Fox ne dit rien, mais lui annonça qu'il partirait le lendemain. Les adieux furent difficiles. Fox incita Phil à passer son diplôme de marin pour qu'il puisse venir à son tour à Kipie.

Fox vit s'éloigner Islandsis du haut de la dunette. Il avait renoncé à comprendre et avait décidé de prendre la potion d'oubli que Dame Faresc lui avait confié. Il descendit dans la cabine et s'allongea sur la couchette. Il but le breuvage au goût amer. Attendit. Mais ne ressentit rien sauf une grande fatigue. Il s'endormit.

Ce qu'il vit n'était pas un rêve. Pourtant il dormait. Il se retrouvait dans une ville ravagée par la maladie. Les portes et les volets étaient fermés et une grand croix blanche y était peinte. Il frissonna. Il marchait, un enfant dans les bras, pleurant sa femme et ses autres enfants. Il arriva devant une porte non marquée. Il avait de plus en plus froid. Il laissa l'enfant à une femme blafarde. La femme et l'enfant du cauchemar. Elle ouvrit la bouche et parla, mais il n'y avait aucun son. Il pensa : « Je n'entends rien » et une voix lui dit « Veux-tu savoir ? ». Il se retourna une femme, un ange, une fée était devant lui. « Qui êtes-vous ? » La femme répondit « Je suis l'oubli ». Il prit peur.

Il se retourna à nouveau vers la femme au tain blafard et il entendit : « Reste où tu es Charles ici tout n'est que destruction, j'étais ta seule famille et ne suis plus. Ton enfant n'a pas résisté à la maladie ». Il se mit à pleurer. « Vous n'avez pas survécu non plus, tous les deux ? » . Le chagrin l'envahissait comme une vague du naufrage qu'il avait vécu. Il voulait mourir, ne plus penser jamais. Une main se posa sur son épaule et son désespoir disparu. Elle lui caressa les cheveux et il cessa de pleurer. « As-tu encore à oublier ? »
-Je ne sais pas mes amis peut-être ?
-Tu viens de le retrouver.
-Phil ? John ? Mais oui c'est bien lui !
-Vous serez inséparables désormais. Votre amitié est plus forte que tout. »

Il respirait fort. Il attendit un craquement sinistre et sentit le bateau chavirer. « Non ! Cria-t-il pas maintenant ! » Les vagues étaient de plus en plus hautes et ce mât qui menaçait de tomber. « Je n'en peux plus ! Je n'ai plus la force ! Oubli aide-moi !

De nouveau une main se posa sur son épaule et lui demanda : « désires-tu l'oubli plus que tout ?
-Oui je veux vivre! Vivre ici et heureux
-Tu connaîtras le bonheur et la réussite » dit solennellement la belle jeune femme.

Sa respiration ralentit, la mer se calmait. Il entendit encore la femme répéter ces mots à l'infini : « Que l'oubli emporte tes malheurs et qu'il fasse place à la joie et au bonheur. Que l'oubli emporte tes malheurs et ….. » Les mots étaient de plus en plus lointain. Il respirait de plus en plus calmement. L'apparition avait disparu.

Il se réveilla doucement et s'étira. Le soleil passait par un interstice de la coque en bois. Il se sentait bien et heureux. Il monta sur le pont et pensa que s'était une belle journée pour voyager. Le port de Kipie était non loin. Il rentrait chez lui. Il entendit un bruit de bois quand il vira venant du grand mât. Très vite il aperçut l'entame faite dans le mât et comprit instantanément que cela ne pouvait venir que de Cosmo. Il consolida avec des cordages pour finir le trajet. Mais rien ne comptait plus que la joie de vivre sur ce beau Territoire. Il fallait juste voir combien il pouvait être agréable de vivre ici. Il se souvint de son arrivée sur la plage, son tout premier souvernir. Il pensa à Kartajan courant dans les près du Nord, à Phil qui était son ami et à Dame Faresc qui l'avait aidé.

Il n'était plus seul et peut-être que l'avenir lui permettrait de faire de belles rencontres.

FIN