Gaïllâa an 598 AUC (convertir une date)
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Version (ID) : 5060
Date :
Nevea an 185 AUC
Titre : Le nouveau monde
Contenu :
Pluvea 157 (récit aventureux)
Chapitre 1
Le départ
Charles, jeune paysan, avait femme et enfants. La vie dans son pays était très rude. Cela n'avait pas toujours été comme ça. Il avait connu sa région clémente et agréable à vivre, mais la situation se dégradait de jour en jour. Pour des raisons qu'il ne s'expliquait pas les saisons avaient changées. Les hivers étaient de plus en plus froids et plus courts. La période chaude était de plus en plus longue et les températures de plus en plus élevées. Le soleil brûlait sur la peau et les récoltes souffraient du manque d'eau. Combien de fois avait-il prié pour que le soleil ne brûle pas la moitié de ses récoltes? Il ne pouvait le dire.
Grâce à sa vigilance il était parvenu à avoir une récolte suffisante pour l'hiver mais pas de surplus à vendre sur le marché. Les temps étaient vraiment de plus en plus durs. Il avait peur qu'un jour ses enfants ne puissent plus manger à leur faim.
Depuis quelques jours l'épouse de Charles et ses enfants étaient malades. Il avait entendu dire au village qu'une épidémie décimait la population. Les remèdes n'avaient pas d'effet sur cette maladie. Loin derrière le village un grand trou avait été creusé pour y déposer les dépouilles noircies par le mal inconnu.
Il ne savait que faire pour soulager sa chère aimée et ses enfants. En les regardant, souvent il hochait la tête, frappé par la fatalité.
Son fils ainé mourut le premier. Il était pourtant robuste et l'aidait souvent aux champs. Il le pleura, mais déjà en lui il savait que ce n'était pas le dernier. Puis le jour suivant sa femme et sa fille cadette fermèrent les yeux à tout jamais. Charles curieusement n'avait aucun symptôme et il s'interrogeait souvent à ce propos.
Le bébé ne présentait encore aucun symptôme lui non plus. Pourtant, il le pressentait, son sort aussi en était jeté.
Trop de larmes versées, trop de souffrances. Il décida de réunir quelques affaires et d'aller au port où peut-être il y trouverait du travail à bord d'un trois mâts. Il confia le bébé à sa sœur dont le village n'était pas encore touché par l'épidémie et lui promit de revenir au plus vite.
Charles fit le tour de chaque bateau, mais les marins lui riaient au nez car il n'avait aucune expérience. Il fallait pourtant qu'il tente sa chance dans le « nouveau monde » dont on lui avait tant parlé à la taverne.
Un soir n'y tenant plus, il grimpa la passerelle d'un voilier avant qu'elle ne fut relevée. Il se hissa dans un canot de sauvetage et se cacha sous la bâche. Il ne connaissait pas la durée du voyage et se rendit vite compte qu'il n'aurait pas assez de provisions et d'eau pour tenir plus de trois jours, mais rien ne le ferait descendre, non rien.
Il s'installa dans la barque, son sac sous la tête et s'endormit. Quand il se réveilla, il n'avait aucune notion de l'heure. En soulevant la bâche il s'aperçut que l'aube se levait. Un frisson lui traversa tout le corps, le bateau prenait la mer et Charles était à son bord.
*************
Prairial an 157 :
Chapitre 2
La rencontre
Les deux premiers jours furent très pénibles pour Charles, il devait lutter contre des nausées incontrôlables à tel point qu'il se crut atteint de la maladie qui avait emporté sa famille. N'osant sortir pour s'aérer, il attendait la nuit pour lever la bâche et respirer l'air chargé d'embruns.
La faim commença à le tenailler. Il avait encore un peu d'eau mais quelques gouttes seulement. Il fallait qu'il agisse.
Il avait remarqué que chaque matin une équipe d'une dizaine de matelots passait le torse nu, les pieds nus, un pantalon arrivant jusqu'aux genoux et un bandeau dans les cheveux, pour prendre leur quart comme ils disaient. Ne comprenant absolument rien au langage de marin, il avait peine à savoir ce qu'il devrait faire s' il parvenait à se mêler à eux.
Il prépara sa tenue pour le lendemain. Attendit que le petit groupe passe, sauta de sa cachette et suivit le groupe. Soudain les uns partirent à droite, les autres à gauche. Ne sachant quelle direction prendre il s'arrêta un instant.
« Qu'est-ce que tu fait planté là ? Dit un homme fonçant vers lui
Charles essaya de réfléchir le plus vite possible et décida de ne rien dire. Il serait muet.
- tu vas me répondre triple buse ? L'homme vociféra de plus belle. Qui m'a fichu un benêt pareil ? Comment t'appelles-tu ? Tu vas répondre non d'un chien !
Charles resta pétrifié. Un jeune homme descendit d'un cordage et se mit entre l'homme et lui.
« Il est muet, sir !
- muet ? Mais qui a osé mettre un muet dans mon équipe ?
- Il était aux cuisines, reprit le jeune homme, mais il était si maladroit que le cuistot n'en veut plus.
- Quoi ? Je n'en crois pas mes oreilles. Bon qu'il prenne le seau et le balai et qu'il astique le pont au moins il ne restera pas planté là ! Quel est ton nom et quel est le sien ?
- Je me nomme John, John Dogan Sir et lui c'est, il parut réfléchir, c'est …
- C'est qui ? Tu vas me le dire son nom ?
- Il s'appelle Philibert Renard, dit John avec empressement. Le gros homme se mit à rire :
- c'est pas un nom ça Philibert Renard, elle est bien bonne. Bon tu répondras au nom de Phil, tu me comprends au moins ? Dit-il en regardant Charles.
Charles faillit répondre « oui », mais se retint et fit signe de la tête.
John se retourna vivement vers Charles.
- Phil, m'en veux pas si c'est pas ton nom, chuchota-t-il, prends vite le seau et frotte. On se revoit à la relève. Allez bouge-toi ! »
En fin de matinée, alors qu'il avait frotté, briqué de toutes ses forces, la faim le tenaillait et il avait des vertiges.
"Phil amène- toi! cria John. Puis en baissant la voix, c'est l'heure de la soupe, on ira chercher tes affaires tout à l'heure. Je vais te montrer ta couchette.
Charles chuchota, mais tu..
-Tais-toi malheureux le coupa John, on parlera plus tard. Fais attention, les autres ne disent rien mais ils se demandent tous d'où tu sors.
Charles comprit l'avertissement. Il suivit. Ils descendirent vers le réfectoire. Il se plaça aux côtés de John et sauta presque sur le pain et la soupe. Il mangeait goulûment avec des gestes si vifs que John lui mit la main sur le bras « tu attires l'attention, mange doucement ». Charles leva la tête et remarqua que tout le monde l'observait.
Repu et installé par John dans la couche au dessous de la sienne, ils partirent tous deux récupérer son sac dans la canot.
John l'attira dans un coin du bateau où personne ne pourrait les entendre. « Alors raconte moi comment tu es arrivé ici. Je t'ai repéré l'autre matin lorsque tu nous regardais passer quand tu étais caché dans le canot »
Charles se présenta et raconta les derniers jours qu'il venait de vivre.
« Et bien, désolé pour ta femme et tes enfants. Ne m'en veux pas pour le nom mais tu me fais penser à mon oncle Philibert et tes cheveux roux m'ont fait penser à un ...renard et il éclata de rire. J'avoue que je me demande comment le « major » comme il se fait appeler a pu croire que tu t'appelais vraiment Philibert Renard ah! Ah! Ah! .
Charles lui sourit: pourquoi m'aides-tu?
- rien de mal à aider son prochain il me semble.
- Vers quel pays va le bateau, vers le « nouveau monde »? demanda Charles anxieux
- « le nouveau monde »? j'aimerais bien mais notre commandant est obsédé par un « Territoire » cela fait la troisième expédition du genre, il veut absolument le trouver!
Viens on retourne avec les autres! Et n'oublies pas tu es muet »
Les deux nouveaux amis se mêlèrent aux autres, les parties de cartes avaient débuté.
Charles se mit dans un coin à l'écart et se demanda , ce que pouvait être ce « Territoire ».
*************
Vertumna an 157
la licorne
Les jours passèrent, puis les mois. Une fois, ils allaient vers l'Est, puis plus au Nord, au Sud, à l'Ouest... Une vraie girouette ce bateau ! A bord de « l'Aigrette » tout le monde en riait. Les commentaires fusaient « Il a dormi la tête à l'envers le capitaine, on fait demi tour ! » C'était à celui qui riait le plus fort.
La suspicion à l'encontre de Charles avait très vite fait place à une indifférence totale pour l'ensemble de l'équipage, sauf pour le « major ». Il avait sans doute demandé au cuistot pourquoi il avait expulsé son commis et avait dû découvrir de « commis » il n'en avait jamais eu. C'est pourquoi John avait très vite compris qu'il fallait qu'il apprenne à Charles tout ce qu'il connaissait, les termes spécifiques, les techniques des nœuds, car il se doutait qu'un jour le « major » le mettrait à l'épreuve.
Charles apprenait vite. Il aimait les soirées au clair de lune passées sur le pont à discuter avec John. John avait cet enthousiasme qu'il avait connu chez son fils, d'ailleurs il était à peine plus vieux. Ils furent très vite liés par une grande amitié solidaire. Un soir que Charles était assis sur le pont près de la proue, il vit arriver John, deux pipes à la main.
« Tu fumes mon ami ? , dit-il en souriant,
- non pas vraiment, le tabac est beaucoup trop cher pour moi.
- cadeau du Capi mon ami ! Allez, tiens, bourrons nos pipes et fumons sous les étoiles !
Ils fumèrent un moment dans un silence ponctué par quelques toux de Charles qui n'avait pas vraiment l'habitude du tabac. Il pensait toujours à ce fameux « Territoire ». Il n'osait pas trop interroger son ami jusqu'au jour où celui-ci lui raconta sa venue à bord.
« Comment es-tu arrivé ici John ? Tu as toujours été marin ?
- ah ! Ça non ! éclata-t-il de rire. Je suis fils de charretier. Mais le père avait tendance à chauffer dès qu'il buvait un peu trop et à me donner de la ceinture, alors je me suis sauvé et j'ai traîné sur les quais. Je mendiais mon pain et ne mangeais pas toujours à ma faim. Un jour le Capi est passé, il recrutait pour son premier voyage et n'était pas trop regardant sur les compétences. J'ai dit oui, les voiliers m'ont toujours fait rêver ! Le Capitaine m'a formé. Il est gentil ; plus sympa que son père. Son père a l'air d'un vieux fou et c'est pour lui qu'il fait tout cela. On raconte que le vieux a déjà vécu sur le « Territoire » et qu'il veut y retourner.
- Mais tu en sais plus sur le « Territoire » ?
- En fait le Capi a voulu m'apprendre à lire et donc je suis monté à la dunette chaque jour de mon premier voyage. Sur son bureau, il y avait le journal du père. Sur la couverture, il avait dessiné un cheval avec une corne sur le front. Il paraît qu'il y en a sur le Territoire et bien d'autres choses étranges. Mais lorsque j'ai posé des questions au Capi, il m'a juste dit que son père avait été retrouvé avec ce journal errant sur les quais il y a maintenant plus de vingt ans et que depuis il ne rêvait que d'y retourner. Mais rien de plus.
- Tu crois que le livre y est encore ?
- Sans aucun doute il ne quitte jamais le vieux fou !»
Charles était très intrigué, comment un cheval pouvait avoir une corne sur le front. Mais pour l'heure, il avait d'autres soucis. Par deux fois le major lui avait demandé de refaire des nœuds juste pour voir s'il savait les faire et il se demandait la prochaine fois ce qu'il allait inventer pour le mettre en défauts. Cette nuit-là , il dormit d'un sommeil agité. Au petit matin la cloche sonna, ils allaient encore changer de cap et ces manœuvres-là Charles les craignait.
Il arriva sur le pont et le major se planta devant lui et dit d'un air narquois :
« mon cher Phil, dit-il en ricanant et continua en levant la voix pour que tous l'entende. Grimpe à la barre de perroquet du grand mât »
John essaya de s'interposer et dit : « j'y monte major ! »
Le major se retourna plus vif qu'un cobra en train d'attaquer : « Toi mon gars tu restes ici ! On va voir si en chutant il reste muet ! »
Charles s'arrêta net et obtempéra, posa la main sur l'épaule de John pour le rassurer et se dirigea vers le filet. Il avait tant de fois regardé John monter comme une araignée sur sa toile et grimper au mât pour atteindre la barre, admiratif de voir l'agilité du jeune homme. C'était son tour.
Ce n'est pas sans appréhension qu'il posa la main sur le grand filet mouvant. Il entendit le major lui crier : « tu nous diras ce que tu vois là -haut ! Enfin tu nous feras des signes ! » et son grand éclat de rire le fit frissonner .
Il n'avait pas le choix ; il devait le faire. Il posa une main puis deux, puis plaça un pied et pris appui sur celui-ci pour mettre le second. Son ascension commença. Il n'osait pas trop regarder en bas, il sentait tous les regards tournés vers lui. Il progressait lentement, mais il progressait. Il finit par atteindre la barre, la saisit à pleines mains et essaya de s'y asseoir comme le faisait John. Son pied glissa et il lâcha une main, mais resta muet. Il entendit un « ah ! » montant jusqu'à lui et reconnu John qui lui criait « agrippe-toi tu y es presque ! ». Il perçut aussi le ricanement du major. Lorsqu'il parvint à se rétablir et qu'il fut assis sur la barre et tourna un bout autour de son bras comme il avait appris, il regarda devant lui. Il aperçut une bande noire sur l'horizon. Pouvait-il s'agir de la terre ? Le paysage était d'une telle beauté qu'il en oublia ce qui se passait au sol. Le soleil faisait briller la surface de l'eau de milliers d'éclats, la mer était d'un bleu profond. Il fut sorti de son ravissement par la voix du major qui paraissait contrarié.
« Descends de là , tout de suite ! Tu ne crois pas que tu vas lézarder ! » et dans le même temps il entendit « Terre ! Terre ! ». Tout le monde espérait un accostage car il était loin le temps où ils avaient mis pied à terre.
Charles s'attarda un peu et finit par redescendre avant que le major ne l'invective de nouveau.
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Frodea an 157
Chapitre 4
Le livre
Le premier jour il régna une grande agitation à bord. Tout le monde avait l'espoir de prendre un peu de repos sur la terre ferme. Le capitaine avait fait jeter l'ancre de l'Aigrette et tous étaient en attente.
Soudain sur le pont de la dunette ils virent apparaître le capitaine. Dans la foule de marins réunis au pied du pont il y eut un murmure « C'est le capitaine Cosmo ! », puis le silence.
« Major Rifley ! Que l'on mette une chaloupe à la mer ! Prenez cinq hommes et faites-moi un rapport au plus vite sur ce que peut nous offrir ce lopin de terre !
- Oui mon capitaine ! Toi ! Toi ! Toi ! Et toi là -bas ! Allez plus vite que ça!
Les marins criaient : « chaloupe à la mer! Chaloupe à la mer ! »
John n'avait pas été désigné et Charles essaya de le voir pour comprendre ce qui allait se passer maintenant. Il jeta un dernier coup d’œil à la dunette et il vit le capitaine faire volte face et s'en retourner dans sa cabine.
Lorsqu'il retrouva John, contrairement à tous les autres, il avait l'air bien calme.
« Que va-t-il se passer ? demanda Charles, en regardant alentours si personne ne pouvait les entendre.
- Le major et ses hommes vont en repérage. Tout d'abord voir si nous sommes arrivés sur une terre habitée, hostile ou non, et surtout voir si quelques gibiers ne pourraient pas compléter notre ordinaire. Si c'est le cas tout le monde descend et là on va pouvoir se reposer
- Aucune chance pour que cela soit le « nouveau monde » dit Charles déçu.
- Aucune mon bon Phil ! »
Leur conversation s'arrêta là car un homme approchait. Ce dernier s'adressa à John « une partie de cartes ça te dit ? L'attente va être longue. Et toi Phil tu viens ?»
Charles fit « non » de la tête. Il commença à ne penser qu'au « Territoire » et principalement au journal du commandant. Il fallait qu'il le voit. Si tout le monde descendait du bateau, il en profiterait pour se glisser dans la cabine. C'était un gros risque mais il devait savoir.
Au bout du troisième jour la chaloupe revint. Pendant que le Major montait voir le capitaine, les hommes racontèrent ce qu'ils avaient vu au reste de l'équipage. «C'est une île! Il y a de tout mais pas âme qui vive ! La plage est magnifique et il sera facile d'y établir un campement. Je pense aussi qu'il y a du gibier, on va pouvoir reprendre quelques kilos »
Dans un semi silence les hommes attendaient l'apparition du Capitaine Cosmo. La porte s'ouvrit et avec le major à ses côtés, les mains posées sur la rambarde du balcon il commença un petit discours.
« Cela va bientôt faire huit mois que nous naviguons sans relâche. Nous allons faire escale ici pendant un mois si tout ce que me rapporte le major se vérifie. Que tout le monde quitte le navire ! Je prendrai la dernière chaloupe avec mon père une fois que la tente sera dressée. Exécution ! »
Le Capitaine Cosmo avait une voix beaucoup plus douce qu'il ne voulait la faire paraître. On sentait qu'il n'y avait pas une once de méchanceté en cet homme.
Le grand départ vers l'île commença dans une grande cohue. Peut-être, était-ce l'occasion pour Charles de tenter quelque chose.
En fin de journée les premières chaloupes quittèrent l'Aigrette. L'idée de Charles était simple ; attendre que le Capitaine et son père embarquent pour monter à la dunette, quitte à gagner la terre à la nage s'il ratait la dernière embarcation.
Une fois le Capitaine en mer, Charles monta et trouva la porte de la cabine ouverte à sa grande surprise. Il entra, regarda partout, mais le lieu étant bien trop rangé, il comprit que tout avait été emporté dans les coffres qu'il avait vu passés quelques temps auparavant. Il ragea.
Il parvint malgré tout en se hâtant à monter dans la dernière chaloupe.
Des abris de fortune avec des branches en forme de préau avaient été construits pour les hommes d'équipage à l'écart des grandes tentes du Capitaine et de son père. Le Major quant à lui dormait sous un préau personnel.
La vie sur l'île s'organisa. Les uns allaient à la pêche, d'autres à la chasse, le gibier sur les broches au dessus des feux laissait planer une douce odeur alléchante. Certains se baignaient , d'autres reprenaient leurs parties de cartes, de dés dans une bonne ambiance. Quelques bagarres éclataient pour des histoires de tricherie mais dans l'ensemble chacun profitait de ces instants à terre.
Charles observait à longueur de temps la tente du Capitaine. Il n'avait qu'une obsession y entrer.
Il rôdait comme un fauve autour de sa proie. Une soir où le Capitaine mangeait avec son père sous l'auvent, il passa par l'arrière et réussit à se glisser à l'intérieur. Un bougeoir éclairait le bureau et à la lueur des flammes vacillantes il vit un livre entouré d'une peau de cuir pour le protéger. Il allait le saisir lorsqu'il entendit derrière lui.
« Et bien que faites-vous là ?
Il se retourna lentement, c'était le Capitaine Cosmo. Il lui demanda : "ce livre t'intéresse on dirait ? Charles ne disait mot. « Charles, c'est bien cela ? Questionna le Capitaine.
Charles surpris et sur la défensive recula d'un pas . « Comment connaissez-vous mon nom ?
- John est un bavard! Il ne pourrait pas jouer les muets comme toi. Tiens, assieds-toi.
Charles n'osait bouger.
« je sais tout, continua le Capitaine, John est plus qu'un matelot ici, il est comme mon fils tu sais. Je l'ai recueilli mais il a dû te le dire. C'est une vrai pipelette. Finit-il en souriant. Alors pourquoi t'intéresses-tu au journal de mon père ? Ce n'est vraiment que l'histoire d'un vieux fou. Tu sais lire au moins ?»
Charles se redressa et dit fièrement : "mon père m'a appris!"
- bon, alors ouvre-le et regarde un peu les premières pages tu vas comprendre."
Le capitaine bourra sa pipe et s'installa confortablement. Charles enleva le lacet qui entourait le livre et découvrit la première page. Il y avait effectivement ce que l'on appelait une licorne sur la couverture.
Charles l'ouvrit et y découvrit des conseils en agricultures, en maçonnerie et autres ateliers. On y parlait d'élevage aussi. Il y avait bien une carte avec des voies navigables et des voies terrestres, mais point de carte pour trouver le Territoire. Lorsqu'il leva la tête, le capitaine avait terminé sa pipe et les bougies étaient presque arrivées à leur terme.
« Qu'en penses-tu ? Avant que tu ne me répondes je vais te raconter quelque chose. Mon père a disparu en mer durant plus de trois années. Lorsqu'il est revenu, il était à bord d'un autre bateau, ce qu'il appelle « lougre » et disait à qui voulait bien l'écouter qu'il avait vécu plus de soixante ans dans ce pays: la Kiponie. Personne ne le croyait bien évidemment, les médecins ont fini par dire qu'il avait perdu la tête. Jusqu'au jour où j'ai trouvé ce livre et si l'on compte en années kiponaises ce pourrait très bien être vrai.
- mais alors ce n'est pas votre père mais vous qui cherchez le Territoire ?
- oui, jeune homme. Parce que mon père vit encore là -bas en quelque sorte. Et si je ne parviens pas à l'y reconduire, c'est dans un asile qu'il finira ses jours. Es-tu satisfait, Charles ?
- heu ! Oui Capitaine Cosmo.
- Alors laisse-moi maintenant et surtout continue d'être muet »
*************
Eolia an 158
Chapitre 5
Le naufrage
L'équipage de l'Aigrette resta près d'un mois sur l'île, rien ne le forçait à partir. Toutefois, après trois jours de pluie consécutifs, le capitaine Cosmo jugea qu'il était temps de repartir surtout que les bagarres se faisaient plus nombreuses. L'oisiveté n'était pas toujours bonne au sein d'une équipe.
Charles avait profité de chaque soirée pour lire un peu plus du livre à la licorne et il en savait bientôt autant que le capitaine lui-même. Cosmo l'avait laissé faire car il aimait sa compagnie. Ils discutaient un peu de tout : politique, économie, agriculture ...
Tous les matins, Charles racontait à John ce qu'il avait lu la veille et le commentait. Il n'avait qu'un objectif en tête ; convaincre son ami qu'il fallait trouver le « Territoire ».
« John, imagine-toi que lorsque tu arrives, tu reçois une bourse pour te construire une cabane, manger et te vêtir. Ensuite, tu peux apprendre des tas de métiers comme maçon, menuisier, plâtrier et même aller à l'université ! Bien sûr, au début, tu commences par travailler aux champs pour les agriculteurs déjà installés, mais, par la suite, tu as le droit d'acheter une parcelle ! Puis deux ou trois si tu veux. Tu as même le droit de vote pour élire ton Edile ! Les voyages sont autorisés à cheval ou en charrette pour faire du commerce ! C'est une terre où tu peux évoluer socialement, je pourrai faire venir mon fils, tu te rends compte que....
- arrête-toi un peu, le coupa John. C'est une illusion ce « Territoire » . Il n'existe pas. C'est un vieux fou qui l'a imaginé. Allez viens, l'équipe nous attend pour porter les coffres ! »
Sur le bateau, la vie reprit son rythme. Les levés aux aurores, les corvées et les éternelles parties de cartes. Charles ne pouvait plus voir le livre, car il lui était interdit de monter à la dunette.
Depuis leur départ : cap vers le Sud ! La pluie n'avait cessé de tomber. Le vent commença à souffler et l'Aigrette prit rapidement de la gîte vers bâbord, car le grain commençait à se déplacer. Le bois craquait et les voiles claquaient. Le vent qui s'engouffrait dans la voilure faisait un bruit assourdissant. Les vagues venaient mourir et passaient par dessus le bastingage et ruisselaient sur le plancher du pont. Parfois le navire montait sur une vague à tel point que les hommes d'équipage devaient s'aider de leurs mains pour avancer en montant vers l'avant de l'Aigrette. Ils essuyèrent du gros temps durant trois jours sans relâche, puis soudain le calme.
Les deux amis s'étaient peu vus ces derniers jours. Ils étaient épuisés, car il n'avait pas été question de dormir.
"Alors qu'en penses-tu Phil ? La mer n'est pas toujours un cadeau ! S'esclaffa-John
Charles le regarda et lut dans son regard une insouciance totale.
- nous en sommes sortis tu crois ?
- pour l'heure oui ! Il nous faut dormir un peu, la tempête peut reprendre"
Le calme fut de courte durée. Le vent avait viré et la tempête avait repris avec une force dédoublée. Charles tomba de son hamac. John le secoua : "Vite! Réveille-toi, on y va".
Lorsqu'ils arrivèrent sur le pont, ils virent une vague à bâbord qui s'élevait au-dessus du bateau. Lorsqu'elle retomba avec force et fracas elle balaya les marins qui étaient sur le pont. Charles perdit l'équilibre et glissa sur le dos et se claqua sur une barrique. Lorsqu'il se releva un nouveau "mur d'eau" se dressait devant lui. Il avait l'impression que le bateau tournait sur lui-même et il entendit crier : "C'est un ouragan !" Il était impossible de se tenir face au vent. Les énormes vagues déchirèrent les voiles. Le navire allait être emporté par la tempête, les vents ne faiblissant plus.
Soudain, il entendit un grand craquement, l'un des mâts venait de se rompre et celui-ci s'abattit sur la dunette. Puis un second craquement et le grand mât coupa le pont en son milieu. Le navire donnait l'impression de se plier.
Charles cria : "John ! John !"
Il l'aperçut s'entourant d'une corde et s'agrippant à une longue planche. John fit signe à Charles "amène-toi". En allant vers son ami, Charles vit des marins essayant de mettre les chaloupes à l'eau, mais l'une, d'elle se décrocha et s'écrasa sur eux. Il entendit leurs cris de douleur.
Charles avançait au rythme des vagues qui s'écrasaient sur l'Aigrette. Le temps que la vague se formait, il faisait quelques pas péniblement et il courbait le dos lorsque l'eau s'abattait sur lui. Ruisselant et à bout de forces, il arriva près de John.
"Arrime-toi, Ã quelques choses qui flotte ! Nous allons couler !" Cria ce dernier.
Le bateau allait chavirer aucun doute là -dessus. Il penchait à chaque fois un peu plus.
Une vague énorme s'abattit de nouveau et embarqua John et Charles accrochés à leur morceau de pont. Ils furent projetés par dessus le bastingage et tombèrent à l'eau.
Charles avant de sombrer avait respiré à pleins poumons, bloqua sa respiration lorsqu'il entra dans l'eau et attendit. Comme pris dans un tourbillon il s'enfonçait, puis soudain se sentit tiré à la surface. La vague le fit monter très haut et il aperçut le bateau qui venait de se fracasser sur un récif. Puis il vit John dans la même situation que lui. A voir la direction de la vague ils allaient eux aussi venir mourir sur le récif. Lorsqu'il fut projeté en avant ses dernières pensées furent pour son fils resté au pays et pour ce fameux « Territoire » qu'il ne verrait jamais. Soudain l'obscurité.
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Helia an 158
Chapitre 6
Le Territoire
C'est le froid du matin qui réveilla Charles. Sa chemise était déchirée.
« John, tu es là ? » cria-t-il en se relevant. Il faillit tomber sur le gros coffre à demi enfoncé dans le sable. Surpris par son environnement, il avait du mal à rassembler ses souvenirs. Des mots lui revenaient « John? », mais qui était John ?
« L'Aigrette ? » L'Aigrette était le bateau sur lequel il avait embarqué, de cela il en était certain. Il sautait d'un pied sur l'autre pour avoir un peu moins froid. Il finit par ouvrir le coffre espérant y trouver des choses utiles.
Après avoir soulevé le lourd couvercle, il découvrit surtout des livres et tout au-dessus un livre où était dessinée une licorne. D'instinct, il le prit et décida de quitter la plage.
Il aperçut une ville. A la sortie de celle-ci, il vit des hommes à cheval charger de lourds sacs de graines et même des charrettes achalandées au maximum de leur capacité. Les hommes lui sourirent et se regardèrent d'un air entendu.
Charles serrait son livre contre sa poitrine, les bras croisés. Il vit ce qui devait être une taverne et décida d'y entrer. Le vent s'engouffra lorsqu'il ouvrit la porte. A l'intérieur, on sentait la douce chaleur d'un bon feu de bois.
C'est par un grand sourire qu'il fut accueillit.
« Bonjour ! Quel est ton nom ?, lui dit une belle jeune fille.
- Heu ! Heu ! Je m'appelle Cheu....., il avait du mal à rassembler ses esprits et cria presque, je me nomme Fox !
- Bienvenue Fox ! Moi c'est Orianna et j'ai quelque chose pour toi. Tiens, voici ta bourse, je t'attendais justement.
- Une bourse pour moi ?
- Bien sûr ! Tout le monde reçoit une bourse en arrivant, tu sais. Tu dois te sentir un peu perdu, mais cela est normal. Bienvenue en Kiponie ! dit-elle en riant.
- Je.... merci, Orianna. Il prit conscience de l'état de sa chemise devant cette belle jeune femme. Je suis confus mais où puis-je trouver de nouveaux vêtements ?
- Tu vas aller sur le marché dans la rue juste à côté. Tu y trouveras un marchand de tuniques et un peu plus loin une auberge où tu pourras manger. Il faut surtout bien te nourrir pour ne pas perdre ta santé. Mais je vois que tu dois être bien informé, tu as la chance d'avoir le livre du savoir : « la licorne de Kiponie »
Il regarda le livre qu'elle désignait.
- Je ne sais pas. Je l'ai trouvé là -bas sur la plage. Suis-je le seul à m'être échoué sur cette plage ?
Orianna parut surprise, mais lui répondit :
- Non, non Cosmo est arrivé à Pyrrit, Phil à Islandsis et toi à Kipie. C'est vrai que vous étiez sans doute sur le même bateau, dit-elle pensive.
- Ah ! Merci, mais cela ne me dit rien.
- C'est normal, dit-elle calmement, tu subis les effets de l'amnésie qui entoure notre Territoire.
-Territoire tu dis ? Mais Fox oublia aussi vite ce que cela signifiait pour lui. Bon je vais au marché, merci.
Orianna eut à peine le temps de lui donner un dernier conseil :
- N'oublie pas de prendre un emploi, les semailles sont commencées. Prends donc un emploi d'agriculteur cela apporte le bonheur ! »
Lorsqu'il sortit, il se hâta d'acheter une tunique pour se présenter à un employeur éventuel. Avant toute chose, il fallait qu'il mange un peu. On lui servit une viande fort savoureuse et il but une cervoise qui laissait un petit goût d'orge en bouche. Soudain, près de lui, un jeune homme ria et il eut une vision en un éclair : l'Aigrette, le sourire de John et le capitaine. Il pensa aussitôt à ce que lui avait dit Orianna. Il n'était donc pas arrivé seul, il se devait de retrouver ce Phil et ce comment déjà ...Cosmo.
Il devait maintenant trouver un travail et surtout un toit.
En sortant il croisa une belle renarde au pelage soigné :
« Bonjour, je me nomme Kiponette, tu es nouveau, n'est-ce pas ?
Un peu éberlué de parler à une renarde il répondit cependant : "oui, moi c'est Fox.
La renarde avait l'air pressé, je t'envoies un pigeon pour te donner quelques petits trucs pour tes premiers pas en Kiponie » La renarde n'attendit pas sa réponse.
Fox se demanda ce qu'elle voulait dire par « pigeon » mais il comprit très vite que tous les oiseaux qui virevoltaient au-dessus de lui apportaient des messages à leurs destinataires. D'ailleurs, l'un d'eux vint se poser sur son épaule. Il déroula le message. C'était une invitation de Kiponette à se rendre dans un groupe de jeunes colons et le conseil suivant : achète vingt planches pour te faire une cabane ! .
Après un mois dans les champs, Fox avait beaucoup appris. Il tenta la pêche, la châsse et il commença sa formation de maçon dans un atelier. Il songeait au voyage et économisait pour rencontrer ce fameux Cosmo qui habitait la cité voisine. Il n'avait pas osé lui écrire, mais il le ferait. Pour Phil cela serait plus difficile, car il lui faudrait un lougre.
Il passait souvent saluer Orianna à la taverne et assistait parfois à l'arrivée de nouveaux. Ses souvenirs de naufrage commençaient à s'estomper. Il s'intégrait peu à peu à la Communauté des Kiponais. Même si, parfois, il éprouvait une sensation de manque. L'impression d'avoir laissé un être aimé quelque part perdu dans le naufrage ou dans le monde d'où il venait, il ne pouvait le dire.
Fox était devenu Kiponais, installé sur le « Territoire » et n'était pas prêt de le quitter.
Fin