Le Territoire de Kiponie

L'huissier de la Juge Molle était de fort mauvaise humeur. Un vent de folie judiciaire semblait souffler sur Lazul et les plaignants se bousculaient aux portes du tribunal.
Non content de devoir envoyer des convocations à tours de bras, il avait reçu l'ordre de de procéder à l'ouverture de la salle d'audience N°2, la N°3 étant déjà occupée par l'affaire "Parquet Flottant/Grmarf : Apologie d'actes terroristes".
La juge cornue avait vaguement grommelé qu'elle allait songer à demander des renforts en personnel mais il y croyait guère. Entre songer et faire.... de l'eau allait couler sous les ponts de l'Ahnit...

Fraiche comme un poisson Piethrois, la Juge fit son entrée avec une pile de documents sous le bras.
Ah, mon brave ! Vous voyez bien qu'il était possible de tout faire à temps. Inutile de vous mettre dans cet état.

Humpff...

Bon, c'est parfait tout cela. Vous pouvez procéder à l'ouverture des portes. Nous attendons le Procureur Territorial et celui qu'il accuse.

Humpff...

Je sais, je sais... Cela vous demande beaucoup.. Mais la Justice citéenne se rend en audience publique. C'est ainsi. Je vous trouverai des patins à votre taille pour que vous puissiez glisser à votre aise entre les deux affaires..

Manquait plus que ça, ronchonna la Juge en arrivant devant la salle d'audience après sa pause cervoise-tartine de pâté de marcassin. Et je fais comment maintenant, hein ? Pff !

Les réparations allaient de prendre bien plus de temps que prévu. L'administration judiciaire avait finit par construire une nouvelle salle.. Plus petite, elle ne pouvait accueillir qu'un nombre restreint de personnes. Et encore fallait il que ces derniers justifient de leur présence à Lazul.

La Juge était soulagée de cette décision. Certaines affaires réclamaient des locaux plus intimes, moins sujets à attirer les curieux en mal de commérages. Elle demanda à l'huissier de prévenir les différentes parties concernées et de les renvoyer vers les nouveaux locaux.

L'eau de l'Ahnit avait coulé sous les ponts... L'administration judiciaire était toujours en proie à de grandes remises en question... et la Juge Molle s'ennuyait ferme dans son tribunal.
La première bonne nouvelle de ce kipo-siècle tout neuf était la réouverture de la salle d'audience N°2. Elle fila inspecter les locaux, laissant trainer un doigt autoritaire sur la moindre étagère.

Humpff. Pour le ménage, c'est pas encore ça, hein.. Enfin.. Au moins, il y vue sur les marécages, songeait-elle en se penchant par une fenêtre. Tiens, faudra que je songe à faire installer des barreaux... Ou poser un crâne sur le rebord.. Ça marche aussi..
Arf.. L'orchestre philjuridique me manque.. Grmarfounet aussi, cette andouille ! Houla, faut que je consulte d'urgence, je perds la raison...

Un huissier ébouriffé ouvrit la porte à grande volée et la dérangea dans ses pensives lamentations.

Madame La Mère Juge ! La Molle ! heu.. Madame la Juge s’exclama-t-il enfin, je vous trouve !

Hé bé, mon brave. Vous me paraissez bien agité. Vous avez encore oublié de boire votre infusion

Heu , oui.. non, enfin, c'est pas ça. Il y a une plainte ! bredouilla-t-il en tendant une liasse de documents..

Dans un tribunal, c'est plutôt courant, hein...
Ils m'en ont encore envoyé un bon, là..Humpff.. C'est pas possible, cette administration

C'est que... C'est le Pas-du-tout-avocat ! Il accuse le.. Arf.. J'ose même pas le dire ... J'ai trop peur de me faire passer à la moulinette...

Le Pas-du-tout-avocat !! Nom d'une brouette ! Vous le pouviez pas le dire plus tôt ! rugit-elle en lui arrachant la liasse des mains.

Blablabla... Hein ??? ... Blablabla.. la Déclaration de l'Instance... Blabla.. la mission de... Trahison... peine de mort..Blablabla..
Arf.. Me faut un siège là. Dites, sommes-nous couverts par une assurance multirisques ? Nan ? Arf..
La juge molle se gratta longuement la corne.

Convoquez moi le plaignant. Qu'il vienne nous exposer tout ça de vive voix.

Petibonum était très ennuyé après avoir reçu le pigeon convocation d'Elie. Coucher une plainte sur un papier était une chose, venir l'exposer devant un tribunal en était une autre. Conscient qu'il apprêtait à participer au procès le plus important de sa (courte) carrière, -et surement le dernier-, petibonum avait décidé de se draper de sa plus belle toge de pas-du-tout-avocat, celle avec des petites fleurs.

En entrant dans la salle d'audience N°2, une odeur de fumier lui pris au nez. Peut être les restes d'un obscur procès entre son ami Grmarf et le Parquet Flottant... La poussière commença à le chatouiller, il détestait ça.

- Hum... hum... Madame la juge je suis assez surpris de me trouver seul avec vous et Monsieur l'huissier livide. Où sont les accusés ? Où sont les autres avocats ? Où est le public ?

Ses questions restant sans réponses, le pas-du-tout-avocat se rappela du contenu du pigeon convocation. La Juge souhaitait entendre la plainte de vive voix...

- Et bien Madame la Juge, J'ac...

Petibonum hésita quelque instants devant le regard terrorisé de l'huissier.

- ...cuse le...

Au bord de la syncope, l'huissier tenta de se rappeler pourquoi il avait choisi ce métier.

- ...le...

La mémoire lui revint rapidement, il n'avait pas choisi ce métier.
Petibonum repris :

- Oui, enfin vous avez compris qui j'accuse. Accusé de quoi ? De trahison. J'ai conscience que c'est une accusation très grave qui peut tous nous mener dans les geôles instantéliciennes, ou pire nous bander les yeux et nous mener vers le... Mais, Madame la Juge, la Justice est déjà aveugle et doit faire son devoir, même si elle risque d'y laisser sa peau.

Petibonum n'était pas venu seul. Derrière lui, les deux gardes qui lui était restés fidèles après les "évenements" d'Islandsis, portaient les bagages. Digne d'un parquet flottant, l'ancien autocrate avait emporté de quoi habiter la salle du tribunal le temps du procès. C'est que tout cela risquait de durer un moment. Garde numéro 2 poussait lui une brouette pleine de documents que le pas-du-tout avocat avaient pris en prévision de la plaidoirie. Il saisit le code instantélicien et une liasse de papier détrempé, et à l'aide d'un marque page se rendit directement à l'article 3.

- J'accuse donc... vous savez qui... d'être contrevenu à l'article 3 du Code Instantélicien et notamment au petit 2, au petit petit 3 et au tout petit 4, que je vous cite :

Art. 3 - Est coupable de trahison et puni de mort qui tue, tout Kiponien qui :
1°) porte les armes contre la Kiponie ou son chef.
2°) entretient des intelligences avec une puissance étrangère.
3°) livre des choses diverses et variées à une puissance étrangère
4°) nuit au Territoire de Kiponie

De plus, même si ce n'est pas formellement sanctionné, j'accuse... gougnagna mystototo... d'avoir trahit la Parole de l'Instance Suprême. On peut s'appuyer sur l'article final du Principe Instantélicien pour formuler une sanction, si vous retenez l'accusation, bien entendu.

Article Final
° Tout contrevenant, même pour un acte mineur s'expose à des sanctions ou remontrances.

Petibonum s'arrêta. Il espérait que cela suffise et qu'il n'ait pas à détailler son accusation dans l'immédiat, mais il savait bien qu'il devrait le faire à un moment ou à un autre. Les foudres instantéliciennes étant rapides, il marmonna une prière...

Votre Suprême Instance,
Loué soit votre bonté,
Pardonnez cet affront.

Bibitricotin avait appris qu'une nouvelle audience présidée par la Juge Molle aurait lieu en place plublique. Étant une vive admiratrice de la Juge citéenne lazuléenne, elle se rendit donc sur place et arriva juste à temps pour entendre, du moins une partie, de l'accusation.

*Mais qu'est-ce qu'il marmonne... qui donc est accusé?* se demandait bibitricotin, qui bien que tendant l'oreille, n'avait pas saisi le nom de l'accusé.

- On n'entend rien d'ici, Madame la Juge! lança-t-elle dans la salle d'audience, tout citoyen ayant le droit de suivre les procès, les tribunaux étaient tenus de s'assurer que tous pouvaient entendre ce qu'il se disait dans les salles d'audience.

La Mère Molle se demandait bien pourquoi elle n'avait pas écouté un ancètre de sa connaissance qui lui avait vivement suggéré d'embrasser la carrière d'aubergiste. Elle avait des dispositions, qu'il disait...
Têtue comme un marcassin, elle avait balayé les conseils d'un coup de corne et s'était lancée dans la voie suprême de la Justice.
Et c'est encore tête baissée qu'elle avait foncé et décidé de convoquer le plaignant

Me voilà dans de beaux draps ! De la Molle tout craché, ça !

L'accusateur-suicidaire n'en menait pas large non plus. Il bredouillait dans son chapeau et nétait pas d'une clarté limpide, ce qui n'avait pas échappé à la Dame Tricotin, experte en bon-parlé;

Elle sourit d'un air contrit à Petibonum.
Arf... Je sais bien qu'il est des accusations difficiles à prononcer. Je pourrais prendre mon cornet acoustique et me le flanquer dans l'oreille. Vous et moi, nous arriverions à nous entendre. Ce qui, pour l'instant est suffisant.

Mais il va bien falloir y passer, hein...

Jamais je ne pourrais obtenir des fonds suffisants pour équiper en cornets les témoins, les avocats, les chroniqueurs judiciaires, et éventuellement, les accusés..

Autant se rendre à l'évidence, nous sommes dans le fumier jusqu'au cou ! J'en connais un, qui, si il nous voit de là où il se trouve, doit être hilare.

Je suis dans l'obligation de vous demander de parler sur un ton légèrement plus haut...Hélas...
Ah, jolie toge, au fait... Vous portez bien la fleurette.

- Et bien soit ! Puisque la justice n'a pas les moyens d'assurer le confort des auditeurs, je vais forcer ma voix pour que tout le monde puisse entendre. Mais je vous préviens, si j'attrape une extinction de voix je n'hésiterai pas à envoyer ma facture au tribunal de lazul ! Non mais !

Il repris alors en énonçant les chefs d'accusation :

- J'accuse de trahison Monsieur...

Une goutte de sueur perla sur le front du pas-du-tout-avocat.

- Monsieur...

Petibonum déglutit lentement.

- Non ! Madame la juge, je ne peux pas ! Vous avez lu mes observations avant de me convoquer. Le nom de l'accusé y était mentionné. Vous comprenez que je crains fortement que si je le prononce à haute voix, je sois foudroyé sur place et vous y passeriez vous aussi, ce qui risque d'être fortement désagréable. D'autant que ça ferait désordre dans votre salle d'audience presque neuve.

Il ponctua sa dernière phrase en lâchant son Code sur la table réservée à la défense, ce qui eu pour effet de soulever un épais nuage de poussière. Les particules restèrent suspendues un moment avant de retomber sur le sol, dévoilant le petit homme en toge, tout gris. Imperturbable, il reprit la parole.

- J'ai peut être une idée : mon vieux professeur me disait toujours que les arbres attiraient la foudre. Peut être qu'en en installant un dans un coin de la salle nous serions prémunis de certains désagréments célestes. Qu'en pensez-vous ? Les finances du tribunal de Lazul permettent elles ce genre de travaux ? A la rigueur si vous faisiez un petit trou là... ou peut être là...

Il remua et fit de grands gestes. Ce qui dispersa la poussière dans toute la pièce.

Un pommier serait une bonne idée, il vous suffirait de tendre le bras pour assouvir un petit creux. Allez, adjugé !

petibonum interpella un huissier pour passer commande !

Petibonum n'arrêtait pas de gesticuler. Bibitricotin comprit néanmoins que l'affaire devait être grave pour que l'ancien dirigeant islandsais n'ose prononcer le nom de l'accusé. La poussière envahissant la salle, elle chassait le nuage de poussière qui l'entourait avec ses mains.

- Atchiii! éternuait bibitricotin tout en faisant des suppositions dans sa tête.

*Qui peut bien être coupable de trahison envers l'Instance Suprême, qui soit suffisamment dangereux pour que Petibonum craigne pour sa vie? Y aurait-il une nouvelle organisation de mafieux? Le Roi Oxido, aurait-il rassemblé les survivants de la Famiglia Leone?*

Sirius se questionnait ... qui est-ce ?

Alors que l'audience battait son plein et que chacun était suspendu aux lèvres de Petibonum, un maigrelet moustachu tout de noir vêtu s'avança vers la juge et lui colla sous le nez un parchemin couvert de tampons et de cachets.

On vit la juge blêmir et ses yeux se noircir. Elle fit signe à l'accusation et s'entretint avec elle un bref instant.

D'un air qui ne souffrait d'aucun commentaire, elle annonça l'annulation pure et simple du dépôt de plainte et la fermeture de la salle d'audience.

Le maigrelet marmona : c'est à cause des travaux.. le comité d'inspection.. construction non conforme...
La juge le fusilla d'un regard et il sortit à petits pas précieux.

La juge prit le temps de ranger les Codes et Principes bien droits sur l'étagère et se retira.
Ceux qui la connaissaient bien ne furent pas trompés par son calme apparent. La Juge était furieuse.

Assise à son bureau, elle réfléchit, longuement. Puis elle retira sa robe officielle, l'accrocha à une patère et rentra chez elle après un dernier regard pour le château de Justice.

Le petit homme en noir, planqué dans une encoignure de porte, la suivit un instant des yeux, une ombre de rictus mielleux accrochée au visage.

James Bob attendait avec impatience.
Qui pouvait ?

Comité d'inspection... ? conformité des travaux... ? à Lazul ?

Qu'est-ce c'est que cette histoire, pensa l'Edile

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Tribunal de Lazul. Le "J'accuse !" du Pas-du-tout-avocat

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Re: Tribunal de Lazul. Salle d'audience N°2

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