...
{Oui? Ouais, bon}
A donc, lors du dernier millénaire {contente?} du temps où j'étais jeune, j'aimais faire du vélo.
Beaucoup de vélo. Avec mon petit frère, souvent, mais parfois tout seul.
Mes grands-parents habitaient une maison aux abords du village, petite maison avec un joli jardin que mon grand-père entretenait avec amour.
Ahhhh, les fraises des bois, les cerises, les ...
Hum, je m'écarte du sujet.
Jadis, donc, je faisais du vélo. Et comme tout apprenti, il m'arrivait de prendre de belles gamelles.
Un genou écorché? Un peu de mercurochrome, du sparadrap, un gros poutoun de mamie, et faï tira!
Que de chemins parcourus à travers les vignes, le long des champs de blé, au mitan des melons et autres succulentes découvertes...
La petite draille qui serpente à travers les mates(1) de chêne-verts et débouche sur une charbonière(2), pleine de criquets aux ailes multicolores.
La récolte de farigoule, de pèbre d'ase, de sauge et toutes ces bonnes herbes qui accompagnent si bien civets et rôtis, ramenés par les chasseurs de la famille.
Et puis les chutes, encore et toujours, inévitables quand on veut escalader le clapàs au lieu de le contourner ...
L'une d'elle fut mémorable, bien que les circonstances m'échappent un peu.
Je me revois revenir à la petite maison près du village, tenant le vélo tout escagassé d'une main, l'autre posée sur ma joue estramassée jusqu'au sang, les coudes et les genoux écarlates, bref un retour fort peu glorieux.
Et surtout une joue fort entamée.
Dans le village, le médecin n'avait pas entendu parler du professeur Barnard, spécialiste de la greffe du coeur bien des années plus tard.
Mais il avait fait ses études avec un autre spécialiste de la greffe, Français comme lui.
Aussi, devant le manque de ma joue droite, il décida de contacter son compagnon de bancs d'études pour voir ce qu'il était possible de faire.
Et me voilà quelques dizaines d'heures plus tard allongé sous la lampe de la table d'opération, prêt pour subir une auto-greffe de peau.
Première étape, prélever un petit morceau de peau sur la partie la plus charnue de mon anatomie.
Seconde étape, tracer plusieurs entailles dans ce lambeau de peau pour la transformer en résille (Comme le 'métal déployé')
Troisième étape, appliquer cette résille sur ma joue et poser par dessus un pansement gras.
Dernière étape, attendre la cicatrisation.
Une fois la douleur oubliée, je ne vous raconte pas le succès auprès des copains de l'école : une vrai blessure de guerre!

J'ai repris le vélo quelques semaines plus tard, un peu plus prudent peut-être?
Maintenant, tout va bien. Pas de séquelles, pas de cicatrice visible non plus.
Bref juste un souvenir parmi tant d'autres.
...
Quoi?
...
Pardon?
.... ... ...
Mais non, ça ne les intéressera pas.
... .. . ...
Bon bon, ça va
Quand je dis que tout va bien, qu'il n'y a pas de séquelles, j'oublie juste un petit quelque chose.Un incident.♪ Une bêtise.♫
C'est sans intérêt.
...
Ouais, c'est bon, j'ai compris
Juste une toute petite précision.
Ma peau se souvient!
Si si, je vous assure, ma peau a de la mémoire. Elle se souvient
Tu vois, il y en a qui rigolent
La preuve?
C'est simple.
Si vous avez bien suivi mon histoire, vous allez en convenir.
Comme indiqué, le petit morceau de peau a été prélevé sur la partie la plus charnue de mon anatomie.
Celle-là même que l'on pose délicatement sur un coussin pour s'assoir.
Et bien, le morceau que l'on m'a greffé sur la joue s'en souvient!
Si Môssieur!
Il s'en souvient. Et chaque fois qu'il y a un coussin quelque part sur le lit, le canapé, et même sur la table, ce lambeau de peau n'a qu'une idée, c'est de s'y installer. Et d'entrainer la joue sous-jacente, laquelle joue tire sur mâchoire amenant la bouche à s'ouvrir, un long soupir s'échapper de mes poumons, les yeux à se fermer et la tête à venir se poser délicatement sur le-dit coussin!
Et voilà pourquoi il m'arrive de rêver à toute heure du jour et de la nuit.
D'où ce titre

Sur ce, je crains fort que la peau de ma joue n'ait repérer quelque coussin dans le coin...
(1) mate : bosquet de chêne issu du même tronc et formant un taillis
(2) charbonnière : petite clairière d'une dizaine de mètres de diamètre, recouverte de débris de charbon de bois. Il s'agit des traces d'une exploitation du taillis méditerranéen sous forme de charbon de bois.